Le Temps
Une double perspective selon l’Islam
Par: Mohga Mashhour*
Les philosophes anciens et modernes se sont préoccupés du concept du temps puisque le temps et l’espace constituent à eux deux le cadre de l’existence où évolue l’être humain. Ceux-ci forment aussi le creuset des limites absolues du monde ainsi que l’horizon de son esprit et de sa conscience. Le temps est basé sur la succession, c’est-à-dire une suite ordonnée, partagée entre passé, présent et futur ; c’est un flux continuel. Essayer de saisir le moment présent signe son achèvement. C’est le temps qui confronte l’homme à son existence limitée et à sa fin imminente, néanmoins c’est lui qui porte l’espoir de l’homme pour un avenir meilleur.
Entre l’éternité – temps non-divisible en passé et futur, temps transcendant l’existence sensorielle et relative – et la femto seconde – où le rapport entre la femto seconde et la seconde est comme le rapport entre la seconde et 32 millions de secondes -l’homme cherche, dans cet immense espace du concept du temps, à découvrir la vérité et les raisons de son existence.
La notion du temps :
Le temps, calendrier ou horaire, est un concept avec lequel nous vivons dans notre conscience immédiate à travers la vie quotidienne. Tout dans la vie humaine est inextricablement lié au temps, aujourd’hui, hier et demain : les cinq prières et leurs horaires, le mois et les horaires du jeûne, les différentes étapes de la vie entre enfance, jeunesse et vieillesse … Le temps est un concept relatif : le temps heureux est fugitif tandis que les temps durs ou difficiles – tels les moments de la maladie, de l’adversité, etc. – durent et perdurent.
La perception du temps est difficile à concevoir : tout le monde se plaint de la fuite du temps empêchant la réalisation des objectifs visés ; toutefois, nous sommes éblouis par la production volumineuse de nos ancêtres dans des spécialisations différentes à tel point qu’une personne ne pourrait en terminer la lecture. Comment trouver le temps nécessaire pour étudier et classifier cette production ? Il y a là la bénédiction du temps qu’Allah, le Tout-Puissant, accorde à ceux qui cherchent sincèrement à profiter de ce don. «Et si les habitants des cités avaient cru et avaient été pieux, Nous leurs aurions certainement accordé des bénédictions du ciel et de la terre …» (7-Al-A`raf, v. 96) [1]
Le Messager d’Allah (que la paix et la bénédiction d’Allah soient sur lui) a dit : «Le jour de la résurrection, tout serviteur ne connaitra pas le verdict divin (entre paradis ou feu) tant qu’il n’aurait pas été interrogé à propos de quatre choses : Sur sa vie, comment l’a-t-il vécue ? Sur sa jeunesse, comment l’a-t-il usée ? Sur son argent, d’où l’a-t-il gagné et comment l’a-t-il dépensé ? Et sur son savoir, qu’en a-t-il fait ?»
La vision islamique se caractérise par une perception très particulière de l’élément du temps. Sans se livrer à des abstractions, celle-ci fournit un concept du temps lié au travail : le temps et le travail constituent les deux faces de la médaille. La vraie valeur de la vie humaine est mesurée d’après ce qui en résulte : ajouter du positif à soi-même, à sa société en plus de la rétribution dans l’au-delà ; autrement dit, le seul moyen d’avoir la récompense dans l’au-delà est le travail en ce bas-monde. Ibn Massoud (qu’Allah l’agrée) a dit : «Je ne regrette rien plus qu’un jour où le soleil se couche, un jour qui passe de ma vie sans avoir ajouté quoi que ce soit à mon travail.»
Le concept du travail en Islam est très spécial car le travail constitue la totalité du mouvement de chaque être humain dans cet univers, paroles ou actes, à condition de chercher la satisfaction d’Allah, le Tout-Puissant. «Bien sûr les actions ne valent que par leurs intentions » ; et qu’ils soient conformes à la charia. «(…) vers Lui monte la bonne parole, et Il élève haut la bonne action (…)» [35-Fatir, v. 10]
Par conséquent, tout ce qui profite à l’homme, à l’univers et à la vie en général est considéré comme une bonne action tant que l’intention est pour Allah, le Tout-Puissant. Dire une bonne parole, enlever un empêchement quelconque par travers le chemin, soulager la détresse d’autrui, réparer une injustice, rendre visite à un malade, nouer les liens de parenté, etc… sont autant d’actions louables. Il va sans dire que l’accomplissement de la prière est une bonne action mais aussi le fait d’assumer les responsabilités familiales, d’apprendre les sciences, de labourer et de peupler la terre, ou tout simplement gagner sa vie. Même le sommeil et le repos, destinés à aider à accomplir ses devoirs, sont de bonnes actions. Mu’adh (qu’Allah l’agrée) a dit : «Quant à moi, je dors et je me lève, avec une intention pieuse avant le sommeil et à mon réveil» (Boukhari). Mu`adh demande, donc, la récompense auprès d’Allah, pour le repos autant que pour l’action ; si l’on considère le repos comme un moyen pour reprendre des forces afin de pouvoir accomplir ses cultes et son rôle sur terre, il en recevra une récompense.
De là, nous trouvons qu’une bonne action est un concept de foi complètement différent de la perspective économique concernant le travail : le premier est un concept complet incluant même le second tout en lui ajoutant une intention supplémentaire. Une fois dit, le temps est considéré donc comme une valeur primordiale dans la vie humaine voire c’est la vie elle-même. Dépenser tout l’argent du monde ne pourrait récupérer une seule minute déjà écoulée. La valeur de la vie humaine est mesurée par le décompte des bonnes actions.
Ibn al-Jawzi a dit : «Une personne doit reconnaître le mérite et la valeur de son temps afin de ne pas perdre un instant sans faire une action qui le rapproche d’Allah. Il lui faut toujours œuvrer pour le mieux, soit par des paroles soit par des actes, avec toujours une bonne intention, à renouveler sans se lasser.»
Dans ce contexte, des concepts tels que tuer le temps, l’amour du repos, le fait de laisser passer les heures sans utilité, les bavardages et les réunions de divertissement ôtent toute bénédiction du temps laissant la personne aux remords sans qu’elle goûte de véritable plaisir à ces moments.
Vision binaire du temps :
La citation célèbre d’Abdullah bin Amr ibn al `As qu’Allah l’agrée : «Travaille pour ta vie dans ce bas-monde comme si tu vivrais éternellement et travaille pour ton au-delà comme si tu mourrais demain» exprime avec justesse le concept du temps dans la vision islamique.
«Travaille pour ta vie dans ce bas-monde comme si tu vivrais éternellement», cette phrase concise souligne la valeur particulière du travail de l’individu selon la vision islamique pour donner le sens véritable de la vie malgré sa brièveté. Le travail permet d’envisager le temps autrement à travers sa contribution à la construction, au peuplement et à la civilisation de telle sorte que les conséquences de son passage sur terre restent pour les générations futures voire à toute l’humanité jusqu’au Jour du Jugement. L’urbanisation et le peuplement ont ici un sens cumulatif puisque les actes de chaque individu contribue, tant soit peu, à la civilisation et ce dans les différents domaines économiques, intellectuels et scientifiques. Toute décision prise par l’individu pourrait ne pas avoir un impact immédiat mais d’autres pourraient en profiter. Donc, cette perception de la vie est une sorte de force mobilisatrice permettant de faire agir tout en se considérant une partie – quoique infime – de l’univers ainsi que de la civilisation humaine.
«Et travaille pour ton au-delà comme si tu mourrais demain» voici un autre concept du temps qui donne au travail une étendue temporelle différente : une vie trop courte pouvant se déployer à travers une durée indéterminée dans l’au- delà. Si le premier concept du temps incite au travail pour peupler la terre, le second donne à ce travail des dimensions relatives aux valeurs et aux croyances. Cette vision devrait avoir pour condition la perpétuelle purification de l’âme à travers un autocontrôle continu, ainsi que la crainte d’Allah (Exalté soit-Il) en toutes circonstances. Celle-ci pousse, en outre, à suivre une conduite et un comportement adaptés à la réalisation des bienfaits non seulement dans cette vie mais aussi dans l’au-delà. Cette prolongation du temps au-delà de la mort exige une prise de décisions en vue de leurs conséquences loin des passions pouvant rendre à néant la récompense de telle ou telle œuvre dans l’au- delà même si ces choix ont un sens ponctuel dans l’immédiat.
D’un point de vue économique, nous trouvons que ce concept complexe du temps influence les décisions économiques contrôlant les actes du musulman. La synergie entre «vivre éternellement» et «mourir demain» est le garant de travailler sans tomber dans l’un des deux extrêmes : l’un est le fait de s’adonner de façon acharnée au travail pour se consacrer uniquement à la vie terrestre, ce qui risque de le faire tomber dans le matérialisme malgré sa foi en Allah Le Tout-Puissant ; le musulman opte donc pour des décisions économiques qui vont à l’encontre du cadre juridique de l’Islam ainsi que des valeurs du vrai croyant.
{Quiconque désire labourer [le champ] de la vie future, Nous augmenterons pour lui son labour. Quiconque désire labourer [le champ] de la présence vie, Nous lui en accorderons de [ses jouissances] ; mais il n’aura pas de part dans l’au-delà.} (42-Al-Shura, v. 20).
{Ceux qui veulent la vie présente avec sa parure, Nous les rétribuerons exactement selon leurs actions sur terre, sans que rien ne leur en soit diminué (15) Ceux-là qui n’ont rien, dans l’au-delà, que le Feu. Ceux qu’ils auront fait ici-bas sera un échec, et sera vain ce qu’ils auront œuvré}. (11-Hud, v. 15-16).
L’autre extrême est le fait de ne se rappeler que la mort toute proche sans tenir compte des responsabilités attribuées à l’homme sur terre. Cela risque de le pousser à ne pas participer au rôle qu’il lui est accordé comme faisant partie d’une collectivité ayant des devoirs à accomplir sur terre.
«Si l’Heure (de la fin du monde) advient et que l’un d’entre vous ait une semence dans sa main, s’il est capable de la planter avant l’avènement de l’Heure, qu’il le fasse»[2].
Pour conclure, nous pouvons assurer que tout travail – si simple soit-il – est efficace et positif tant que celui-ci est considéré comme un plus pour la collectivité. Celui-ci doit s’effectuer dans la piété et la crainte d’Allah. Il y a là la condition qui donne toute sa valeur aux actes de l’être humain sur terre ainsi que la récompense méritée dans l’au-delà.
Traduit par:
Amira Mokhtar**
Revisé par:
Prof. Hedaya Mashhour***
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* Directrice du Centre khotwa pour la documentation et les études, et secrétaire de rédaction du magazine al Muslim al Mau`aser
[1] C’est la traduction du site : https://www.altafsir.com/
[2] Musnad Ahmed. Le reste du Musnad des Grands Rapporteurs (12569).
** Chercheur et traducteur égyptien.
*** Professeur de langue française. Département de langue française. Faculté des lettres, Université du Caire.