Le discours divin dans le Coran
Entre langue et idiome
Par. Dr. Sawsan El Cherif
L’idiome du Coran «le discours divin dans le Coran»
L’une des spécificités les plus importantes du Coran est que c’est un Texte absolu. Chaque personne pourrait le comprendre – quel que soit le lieu ou quelle que soit l’époque – à sa manière. Cette compréhension toute personnelle pourrait lui permettre de résoudre ses problèmes grâce à sa guidance et grâce à ses directives morales. Quant à la langue dans laquelle le Coran a été révélé, c’est une source de plaisir vu son évolution connotative, la continuité de sa compréhension ainsi que le renouvellement de son interprétation et de son exégèse.
Qui pourrait prétendre, à n’importe quelle époque, comprendre le Coran de façon parfaite ou de cerner son sens absolu ? Comment faire face à son hégémonie absolue et à son inimitabilité perpétuelle ? Peut-on le considérer comme faisant partie d’un patrimoine où puiser pour en retenir certaines choses et en écarter d’autres ?
A plusieurs reprises, le Noble Coran déclare sa prédominance à tout autre texte. Celui-ci ne se révèle qu’à un lecteur qui médite, s’attardant sur ses significations, lequel lecteur est capable d’y déceler trésors et secrets, sa lecture confère à cette nation sa méthode de vie et sa pensée. Il lui faut procéder en utilisant la méditation, la contemplation, la compréhension, la réflexion, la jurisprudence, la langue et les Hadiths[1] afin de comprendre le Noble Coran. Une seconde étape s’impose où il lui faut utiliser tous ses moyens, pour «lire» l’univers, le grand livre ouvert qui représente un autre moyen vers la connaissance et la compréhension du Noble Coran[2].
Taha El-Elwani dit à ce propos: «Le Noble Coran est comme l’univers ; avec le progrès des méthodes de recherche ainsi que la méditation sur ses significations, se révèlent à nous des secrets jusque-là cachés». Cet auteur a été le premier à utiliser le terme «la langue du Coran»[3] (ci-après dénommée l’idiome du Coran) tout en étudiant les connotations des concepts coraniques. Il souligne que l’idiome du Coran charge les vocables de la langue arabe de valeurs sémantiques inédites et variées : voilà l’une des différences entre le discours divin et le discours humain.
L’idiome du Coran se distingue de la langue arabe puisque celui-ci la dépasse de loin et ce, par rapport à sa littérature et à son éloquence. Prenons n’importe quel mot du vocabulaire coranique, étudions son étymologie, son évolution et ses connotations à travers les différentes époques pour constater à quel point celui-ci assimile les nouvelles notions. Il est clair que ces mots intègrent le nouveau pour que chaque époque puisse relever les défis rencontrés, puis se hissent pour recouvrir de nouvelles connotations à une époque postérieure. Il faut donc considérer les mots du Coran comme autant de concepts regroupant plusieurs significations dont celles de l’époque de la Révélation participant par-là à la richesse de la pensée humaine.
L’approche de «l’idiome du Coran» diffère de la linguistique et de la sociolinguistique puisque celle-ci s’intéresse au sens voulu par Allah «exalté soit-Il» des concepts coraniques avec des significations profondes ainsi qu’avec des dimensions sociales et humaines. La linguistique s’intéresse prioritairement à la rhétorique et aux techniques de l’expression. Quant à la sociolinguistique, celle-ci se focalise sur l’impact de la société sur la langue tandis que la sociologie du langage examine l’impact de la langue sur la société.
Les caractéristiques de l’idiome coranique sont nombreuses et variées, abordées par les érudits anciens et contemporains, dont celles : rhétoriques, littéraires, linguistiques, grammaticales, morphologiques, stylistiques, etc. Celles-ci constituent le miracle du Coran et son inimitabilité linguistique selon le point de vue adopté ainsi que selon la personne qui médite ; illimitées car le Coran est absolu tandis que l’homme est relatif, le relatif ne peut en aucun cas cerner l’absolu ni recenser ses attributs et ses concepts. Le Noble Coran est toujours capable de révéler de nouveaux concepts qui répondent aux problématiques et aux notions d’une réalité changeante. En effet, chaque génération parvient à de nouvelles découvertes et trouve de nouvelles théories en fonction du degré de ses connaissances et de son savoir. A cela s’ajoute aussi l’évolution de la méditation sur les significations du Coran, il y a là le renouveau de la lecture de la Révélation divine ainsi que la lecture de l’univers dans l’unité de sa structure cosmique.
Il reste à savoir qu’il n’y a aucune contradiction entre la compréhension et les découvertes des nouvelles générations et l’héritage de nos ancêtres, patrimoine cognitif selon les limites de leur savoir, leurs modes de vie, leurs conditions d’existence, leurs besoins, leurs systèmes culturels, etc. Au contraire, cela mène plutôt à établir des liens entre les générations à travers le fait d’accumuler les connaissances et d’assurer le continuum entre elles.
La différence entre l’idiome et la langue :
Les linguistes n’ont découvert la différence entre l’idiome et la langue qu’au XIXe siècle. Néanmoins, le Noble Coran avait souligné cette différence subtile dans la Révélation divine. D’après le Coran, les Arabes ont compris cette notion puisqu’ils disaient : «L’idiome arabe, l’idiome du Coran, l’idiome de Quoraich, etc.». Il est possible de comprendre une langue sans parole car les signes sont une langue, l’écriture est une langue, le son émis par quoi ce soit est une langue. De même, les dessins et les images sont expressifs et narratifs mais sans parole voilà pourquoi ne les appelle-t-on pas des idiomes. Allah ‘’exalté soit-Il’’ qualifie de système langagier les signes et les gestes.
{Ton signe, répondit Allah, sera de t’abstenir de parler aux gens pendant trois jours, si ce n’est par gestes} (Al’ Imran : 41)[4]
La langue est souvent tributaire des coutumes ainsi que du patrimoine régional. Toutefois, «la langue» en tant qu’organe de phonation a un sens plus large et plus général, sa gamme d’expression est beaucoup plus étendue ; la preuve en est que ce muscle est capable de parler plus d’une langue. Ainsi, ce terme polysémique «langue» renvoie à la fois à : l’organe, l’idiome, le mot, l’éloquence, la parole, l’essai, et le message. Parfois, dans le Coran «idiome» signifie simplement «modalités d’expression» donc, différentes langues et différents dialectes.
{La variété de vos idiomes et de vos couleurs} [Les Romains : 22]
La langue est comme l’idiome, ce sont des sons que chaque collectivité utilise pour exprimer son besoin de s’exprimer. L’idiome s’en distingue par sa capacité de forger avec les mêmes mots des phrases différentes tout en utilisant des techniques d’expression. Il renvoie également à des compétences telles que l’explicitation et l’éloquence. Allah «exalté soit-Il» a mentionné l’idiome comme moyen d’éloquence en disant :
{Mon frère Aaron est plus éloquent que moi} [Al-Qassas : 34][5]
Pour démontrer pleinement le caractère miraculeux du Coran, nous constatons que malgré son style lapidaire, celui-ci renvoie à de multiples significations à tel point que les ouvrages qui lui sont consacrés n’ont pu épuiser son étendue sémantique. Un sens premier peut être saisi par tout un chacun mais les multiples strates du sens ne peuvent être assimilées que par des personnes érudites. Il va sans dire que la compréhension des savants de l’Islam n’est jamais équivalente à celle du grand public : ceux-ci peuvent déduire d’un seul verset, des dizaines voire des centaines de problèmes. En effet, une personne peut lire une Sourate pour n’en tirer que peu de chose ; puis, à force de reprendre sa lecture et de méditer, Allah «exalté soit-Il» le guide vers de nouvelles significations.
{Nous accordons abondamment à tous, ceux-ci comme ceux- là, des dons de ton Seigneur} [Al-Isra : 20]
L’idiome coranique se révèle quand on regarde de près un mot ou un terme du Texte coranique – son étymologie et sa signification – avant la Révélation divine puis, son usage dans le Coran à l’époque de la Révélation. Il suffit de suivre son cheminement par la suite pour apprécier la richesse de ses nouvelles connotations.
Parmi les caractéristiques du discours Coranique:
Si l’on compare les deux termes «texte» et «discours», on émet des réserves par rapport au premier et on approuve le second. On pourrait y ajouter d’autres termes comme celui de l’éloquence coranique. Il nous faut revenir au Noble Coran pour dégager les critères nous permettant de rectifier notre parcours intellectuel et ce, en méditant sur la signification de ses versets bien clairs. Le Coran n’est point un Texte figé mais vivant à travers la récitation perpétuelle ainsi qu’a travers la méditation sur ses sens interpellant les cœurs clairvoyants. Le Coran est un message de guidance, son discours est un moyen d’information à tous les êtres humains, portant en son sein tous les éléments d’un acte de communication pour lui permettre d’accomplir sa mission.
L’un des éléments du discours coranique est de s’adresser directement au destinataire sous forme d’appel en utilisant le temps du présent. Il y a également plusieurs destinataires visés variant entre le général et le particulier sans exclure telle catégorie ou telle classe sociale. Le discours coranique s’adresse aux divers récepteurs sans exception. Il vise l’âme humaine afin de valoriser des prototypes d’exception parmi les individus de la communauté musulmane pour générer un groupe humain de distinction tout en mettant en relief des valeurs comme la solidarité, l’entre-aide, l’affection et la compassion.
Pour un chercheur attentionné, il perçoit le discours coranique comme un défi ou une provocation de son esprit et de sa conscience. L’une de ses spécificités, c’est le fait de dévoiler les tenants et les aboutissants de sa source de manière aussi vivace que celle de sa teneur. Ce discours comporte un destinataire, un sujet, un message, un contenu et une source. Ces éléments peuvent se décliner en : une forme, un fond, un motif et une finalité. Les pôles de la communication se réalisent dans ce cas de la manière la plus précise et la plus efficace. Cela nous incite à traiter le Noble Coran comme une source vivante et vitale où puiser théories et méthodes[6].
Les vocables du Noble Coran ne sont pareils à n’importe quels autres vocables arabes car sa source est divine, s’élevant au niveau supérieur des concepts. Il y a une différence fondamentale entre l’usage divin et l’usage humain : les termes coraniques instituent des concepts sur lesquels reposent les champs cognitifs ainsi que les modèles culturels et intellectuels. Tout lecteur doit constater par lui-même la différence entre l’usage divin et l’usage humain du mot. Le Coran utilise chaque terme comme autant de pièces qui s’imbriquent dans une architecture parfaitement conçue. Prendre conscience de cette vérité est d’une importance cruciale avant et après la lecture. Il est difficile de soumettre l’idiome du Coran aux différentes théories linguistiques avec leurs normes contemporaines qui se basent sur l’étude des textes, leur déconstruction puis sur une nouvelle analyse[7].
Nous assistons à un certain désaccord entre le Texte et le réel, allant même jusqu’à lui permettre de juger ce Texte. Cela pourrait se produire quand la dimension axiologique est retirée de la réalité dans une tentative d’isoler le Texte. Il s’ensuit l’absence des valeurs absolues ainsi que de la dimension spirituelle et immatérielle. Là, c’est la relativité qui règne – en souveraineté absolue – pour juger le Texte et le réel[8].
Toute approche du Noble Coran nous révèle une vérité très importante : beaucoup d’idées sont véhiculées à travers le contexte général des sourates. Ces idées ne sont pas dites explicitement mais c’est le contexte qui se charge de les présenter à travers le sens global des versets et des sourates ainsi qu’à travers la déduction logique et thématique. A titre d’exemple, beaucoup de versets renvoient à des ordres – faire ou ne pas faire telle ou telle chose – sans néanmoins utiliser des termes renvoyant à l’injonction ou à la défense. Dans le cas de la recension d’un sujet en particulier, il faut donc prendre en compte le contexte – non pas seulement les termes ou les vocables – ce qui ajoute de la complexité à cette recherche. L’étude de n’importe quel sujet spécialisé devrait respecter des normes et des critères adéquats pour garantir un raisonnement scientifique. Il faut également préciser le cadre auquel se réfère l’étude pour lui garantir la profondeur nécessaire.
Traduit par:
Nadia Darmouna**
Revisé par:
Prof. Hedaya Mashhour***
ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ
[1] Les dits du prophète « que la paix soit sur lui » et les compagnons qu’Allah – exalté soit-Il – les agrée (Note de la traductrice. Ndt)
[2] Mohamed Abul Qassem Haj Ahmed, Problématiques islamiques contemporaines. La méthodologie cognitive du Coran. Beirut : Dar Elhady,. 2003
[3] En arabe, le terme « langue » signifie à la fois l’organe qui sert à l’articulation de la parole ; il peut aussi signifier «l’idiome». (Ndt)
[4] A chaque fois où il y a interprétation en français d’un verset, nous avons recours au site :
https://quranenc.com/ar/browse/french_hameedullah/38/29 (Ndt)
[5] Le Texte arabe dit : «Il a une langue plus éloquente.»
[6] (Op.cit.)
Taha Jaber Al-Alwany, Mona Abul Fadl, Vers la reconstruction des sciences sociales et des sciences de la charia. Le Caire : Dar Al-Salam, 2009.
[7] Taha Jaber Al-Alwani. Repères méthodologiques en matière de méditation et de gestion que ne méditent-ils pas le Coran ? Le Caire : Dar es Salaam, 2010.
[8] (Ibid.) Taha Jaber Al-Alwany, Mona Abul Fadl, Vers la reconstruction des sciences sociales et des sciences de la charia.
** Diplôme de traduction Université du Caire. Diplôme de TRAFA Université Lumière Lyon 2.
*** Professeur de langue française. Département de langue française. Faculté des lettres, Université du Caire.