Amin Al-Khouli: Et les Fondements de l’Ecole d’Exégèse Contemporaine

Amin Al-Khouli

Et les Fondements de l’Ecole d’Exégèse Contemporaine*

Par: Dr. Shérif Abdul Rahman**

 Amin Al-Khouli est l’un des pionniers qui ont appelé à considérer le texte coranique en tant que texte littéraire sans égard à aucune autre considération, entendant par ca  la considération religieuse. Adoptant ce concept, Al-Khouli a établi une «méthodologie» d’étude du Noble Coran qui omet la question de son origine et sépare le texte coranique de son caractère sacré et appelle à une lecture réfléchie du Coran selon une approche rationnelle. En fait, c’est la même ligne suivie par les écoles de l’interprétation contemporaine (Ta’wïl hadathi) qui l’ont succédé, et qui appellent à l’humanisation du texte (sacré); ce qui consiste à le traiter comme un texte humain, qui peut être lu d’un point de vue historique relatif en négligeant sa source transcendantale ou en considérant sa source transcendantale uniquement dans son contexte historique! En conséquence, nous pouvons affirmer que nous ne pouvons pas comprendre pleinement le projet d’Al-Khouli, sans étudier les contributions de ses disciples qui ont représenté son idée à travers  l’école de pensée appelée l’exégèse contemporaine du Coran. Nous ne pouvons également pas  décoder beaucoup d’allégations présentées par cette école qu’en comprenant les prémisses fondées par Amin Al-Khouli à cet égard.

Pour atteindre ces deux objectifs, nous avons l’intention, tout au long de cet article, d’aborder un certain nombre d’axes résumant les grandes lignes du projet de renouveau d’Al-Khouli, ce projet qui représente en même temps les piliers méthodologiques et intellectuels de l’école d’exégèse contemporaine du Coran. Ces axes comprennent les rubriques suivantes :

  1. Étude littéraire, 2. Evolutionnisme, 3. Positivisme, 4. Exégèse thématique,
  2. Humanisation, 6. Pluralisme, 7. Herméneutique, et 8. Historicisme

Bien que ces sujets se chevauchent et que beaucoup de leurs détails se croisent, il importe de différencier entre eux pour bien comprendre le projet de renouveau d’Al-Khouli, et mettre en relief les principaux piliers de l’école de l’exégèse contemporaine du Coran :

  1. Étude littéraire:

Al-Khouli a donné la priorité à cette approche, la considérant le point de départ pour comprendre le Noble texte du Coran, et l’objectif ultime de l’exégèse. C’est donc la source dominante de laquelle émanent tous les autres buts et il est indispensable de bien l’étudier avant de s’élancer dans le parcours des autres approches, étant donné, selon lui, que cette étude littéraire est une finalité impartiale qui s’adresse aux croyants ainsi qu’aux mécréants. Autrement dit, elle ne nécessite pas la condition de la foi ni ne considère que le guide au bon chemin soit la fin ultime de l’exégèse. 

Pour l’étude littéraire du Coran, Al-Khouli a établi des règles qui diffèrent totalement de celles de l’exégèse coranique classique. Il a neutralisé les deux essentiels facteurs du Coran, sa source divine et son caractère sacré. Il a ainsi ouvert la voie à une étude libre sans restrictions ni normes autres que celle de la critique littéraire. Ce qui a rendu le texte librement abordable et en a fait l’objet de discussion ouverte selon une méthodologie que l’un des disciples contemporains a décrit comme suit: «Même si nous croyons en la divinité de la source du texte coranique, nous avons besoin de le lire d’une manière réfléchie d’un point de vue terrestre; un point de vue qui ne tient pas compte de la divinité de sa source»[1].

En rompant le lien entre le texte coranique et sa source transcendantale, et le reliant à la réalité relative, Al-Khouli a suggéré une étude contextuelle, incluant le cadre historique, social, culturel et religieux dans lequel le Coran a été révélé. Il a d’autre part proposé l’étude des mots, des phrases et des structures dans le texte coranique afin de dévoiler la beauté verbale du style coranique et mettre en évidence les caractéristiques de ses structures.

Cette approche représente le point de départ des protagonistes de l’exégèse coranique contemporaine, qui sont venus après Al-Khouli, et qui ont adopté son approche. Pour aborder le texte coranique correctement ils estiment qu’il doit être lu  comme un texte littéraire indépendamment de sa dimension religieuse[2]. Vu que le texte coranique, comme tout autre texte, est une production cognitive qui applique les conditions de la critique, exigeant la connaissance de son cadre historique, la controverse entre le texte et la réalité, et le recours aux mécanismes de la logique historique pour former une conscience scientifique disciplinée[3].

La perspective (littéraire) introduite par Al-Khouli, théoriquement, n’était pas supposé aboutir à de graves conséquences, car la tentative de découvrir le «signifié» déclaratif et littéraire en étudiant le «signifiant» linguistique est neutre et objective. Cependant, les tentatives suivantes ont dépassé toutes limites et ont abouti à des interprétations qui contredisent totalement l’héritage exégétique.

En fait, il n’était pas difficile pour Al-Khouli de prévoir ces conséquences; de son vivant, il a pris part à la crise concernant la thèse de son disciple  Muhammad Ahmad Khalafullah, intitulée (L’Art du récit dans le Coran) à travers laquelle ces conséquences étaient à l’épreuve. Il lui impliquait, alors, d’exprimer son opinion à ce sujet. En effet Al-Khouli a explicitement déclaré son soutien total à l’œuvre de Khalafullah et sa tentative qui, en vérité, représente une violation des normes classiques de l’exégèse, en adoptant l’hypothèse que les récits coraniques ne sont que des mythes véhiculant des significations littéraires. Cet état de choses affirme la responsabilité d’Al-Khouli de la déviation qu’a subie cette approche littéraire, ainsi que sa responsabilité du produit intellectuel développé par les disciples de l’école de l’exégèse contemporaine du Coran.

  1. Évolutionnisme:

Pour étudier les sciences auxiliaires nécessaires à comprendre le Coran, telles: la langue, la grammaire et la rhétorique, Al-Khouli a adopté une approche évolutionniste sous prétexte de faciliter ces sciences aux étudiants, dans un essai de les rapprocher de la langue arabe contemporaine parlée. Al-Khouli a été obsédé  par l’idée de l’évolutionnisme, au point qu’il en a fait le cadre référentiel pour le renouvellement des connaissances islamiques et de la littérature arabe. Il a également utilisé les mots renouvellement et évolution comme synonymes. Il a conçu le renouveau de la religion à la tête de chaque siècle (promis dans une tradition du Prophète que paix et bénédiction d’Allah soient sur lui), comme l’évolution par mutations génétiques.

En fait, Al-Khouli a ardemment défendu la théorie de l’évolution, supposant qu’elle ne contredit pas le contexte dans lequel l’esprit musulman s’est développé, et que l’histoire islamique comprend des témoignages et des preuves proches de l’essence même de l’idée de l’évolution. On trouve ces traits en particulier dans des œuvres telles “Les Épîtres de Ikhwan Aṣ-Ṣafa” et les écrits d’Ibn Miskawayh, Ibn Sina et Ibn Aṭ-Ṭufayl; où l’on trouve des signes implicites ou explicites, concernant la classification des créatures dans une hiérarchie au sommet de laquelle vient l’être humain, puis les animaux, puis les plantes jusqu’à atteindre le niveau le plus bas qui est les êtres inanimés.

En surplus, Al-Khouli a largement appliqué l’idée d’évolution, la considérant comme la loi qui régit la création, la vie, voire les croyances, les cultes et les transactions. Selon lui la charia islamique (dans la question des cultes et des transactions) est l’élection de ce qui est le plus facile et le plus adéquat. Il a même  dit que «l’évolution des croyances est possible, et de nos jours, c’est un devoir à assumer, et la religion en a besoin dans le but de protéger la religiosité, de prouver sa validité éternelle et sa capacité d’adaptation; une adaptation par laquelle la foi ne contredit ni raison ni action»[4].

L’évolution adoptée par Al-Khouli se révèle dans son appel à évoluer les règles grammaticales, rhétoriques et figuratives (arabes) en fonction d’une méthodologie qui opte pour le plus facile et le plus simple, et qui prend en considération l’utilisation pratique de ces règles, sous prétexte de rapprocher entre la langue écrite et la langue parlée. Cet appel renferme plusieurs risques menaçant les sciences auxiliaires nécessaires à l’exégèse coranique. Au sommet de ces menaces se trouve le fait qu’il peut conduire à une rupture complète entre le Coran et les outils nécessaires à son exégèse et à sa compréhension. Par exemple, la supposée grammaire arabe (Naḥw) simplifiée, qui tient compte du langage courant, ne serait guère applicable au texte coranique qui a été formulé en fonction de la grammaire arabe classique, il en de même pour la rhétorique (Balaghah) et les figures de style (Bayān)[5].

Le paradoxe réside dans l’appel à adopter l’évolution et à la rendre obligatoire en même temps; parce qu’il soulève d’importantes questions cognitives. En fait, l’évolution est un plan spontané qui ne peut être obligatoire, car elle résulte d’une libre interaction. Par conséquent, imposer l’évolution comporte une orientation délibérée qui contredit la spontanéité caractérisant la philosophie même de l’évolution[6].

  1. Positivisme:

L’école d’exégèse contemporaine a implanté la théorie du positivisme dans l’exégèse coranique, en lui établissant des règles en dehors de sa source divine. En fait, «l’étude littéraire» traite du texte coranique comme un texte linguistique absolu en dehors de toute dimension métaphysique. Dans ce contexte, le renouveau transmet le sens de la “modernisation” plus que le sens de la “revitalisation”, et emploie des théories positivistes qui traitent du tangible et évitent l’intangible inaccessible par la raison et les sens.

Ici, la relation entre le projet de renouveau d’Al-Khouli et l’esprit de la modernisation occidentale apparaît sous plusieurs aspects, dont le plus important est le droit de l’individu de critiquer rationnellement la  réalité de son existence et de remettre en question les postulats en cours à son époque, même si elles sont des principes religieux (absolus). Dans le cadre de ce projet moderniste basé sur la raison, la religion (ou selon l’expression utilisée par Al-Khouli: la compréhension commune de la religion) est un phénomène susceptible d’être étudié et soumis à l’étude philosophique et scientifique. Ce qui la  rend donc, un sujet qui peut être mis en doute, au lieu d’être la source explicatrice de tout phénomène.

 L’influence de l’approche positiviste apparaît aussi dans le choix qu’a fait Al-Khouli entre les questions sur le comment et le pourquoi; en fait il a choisi de poser la question: «Comment expliquer le texte?» (La réponse suggérée est: en fonction de l’approche littéraire), au lieu de demander: «Quel est le but ou l’objectif du texte?». L’approche positiviste suit le même cours, car elle tente de comprendre comment fonctionne l’univers sans s’interroger sur le but de son existence, considérant cette question «hors de la portée scientifique», car la science ne croit pas en la finalité de l’action ou de la causalité transcendante.

Donc, sous l’influence du positivisme, «l’étude littéraire» d’Al-Khouli a mélangé la méthodologie à l’objectif. À l’instar de la méthodologie positiviste qui explique l’univers matérialiste à partir d’une approche scientifique, afin de servir la science, sans pour autant avoir l’intention d’affirmer, par exemple, le Pouvoir du Créateur qui a merveilleusement créé cet univers; Al-Khouli  adopte l’approche littéraire en étudiant le texte coranique dans le but de servir l’étude littéraire. Sans qu’il conçoive que la révélation du Livre sacré est dans le but de guider les humains à leurs Seigneur et leur Créateur. En fait, le positivisme élude la finalité transcendante, ainsi que l’étude littéraire rejette également le fait que l’exégèse coranique ait pour finalité ultime un but transcendant qu’est la bonne guidée, et se concentre sur l’objectif littéraire terrestre tangible[7].

  1. Exégèse thématique:

Al-Khouli ne croyait pas en la possibilité ou l’utilité d’expliquer le Coran en adoptant une interprétation selon l’ordre actuel des sourates[8]. Ainsi, il a opté pour une interprétation thématique, qui consiste à collecter tous les versets coraniques abordant un sujet spécifique, les recenser, puis les organiser dans un ordre chronologique, puis citer les occasions et les raisons de leurs révélations, ensuite les interpréter à la lumière de ces données[9].

Mais, Al-Khouli n’a pas publié beaucoup de recherches qui peuvent être classées sous la soi-disant «exégèse thématique», en plus il n’a eu aucune contribution dans les écrits exégétiques, à l’exception de ses leçons d’interprétation via la radio égyptienne, au cours desquelles il a abordé de nombreux sujets tels que les directives coraniques durant le Ramadan, les richesses, les prescriptions de la religion en temps de paix, et les directives aux dirigeants et aux Messagers. Ces leçons suivaient toujours la méthodologie traditionnelle, la cause en est peut-être la nature des auditeurs non spécialisés. Toutefois, cela n’explique pas assez le fait qu’il a renoncé aux restrictions et aux conditions qu’il s’est fixé pour l’exégèse thématique, en suivant de près la méthode de l’exégèse classique qu’il rejetait totalement![10]

Sur les pas d’Al-Khouli, la tendance intellectuelle de l’interprétation a complètement rejeté  l’exégèse coranique traditionnelle. Sans pour autant appeler uniquement à l’interprétation thématique, ils ont exprimé leur «refus de l’ancien» par plusieurs appels tels: la relecture du Saint Coran, la déconstruction de la pensée religieuse, affranchir l’exégèse de l’autorité paternelle, ressusciter la multitude religieuse, le retour à l’esprit du texte non à ses lettres, affranchir le texte des interprétations mythiques, se libérer du joug de la sainteté, se libérer de la stagnation, déchiffrer le texte, élucider le texte, relancer ses capacités, humaniser le texte, saper l’autorité théologique, interroger le non-dit, sortir de l’étroitesse de l’exégèse à la plénitude de l’interprétation herméneutique, lutter contre le dogmatisme religieux et historique, et  démanteler la mentalité islamique midiévale[11].

Le facteur commun de tous les appels précédents est le rejet des approches exégétiques classiques sous l’allégation que «ces approches sont anciennes», d’une part, et d’autre part «parce qu’elles négligent totalement le lecteur» en tant que récepteur donc actant principal dans la déduction du sens voulu par le texte. Le lecteur, ici, signifie l’humain, qui, selon certains protagonistes de cette école, est  l’auteur réel (du Coran); d’après eux, Allah Le Tout-Puissant a révélé le texte, et ne l’a pas écrit. Et quand la révélation s’est incarnée dans le temps et l’histoire, et qu’elle s’est manifestée dans une langue c.à.d. dans un texte rédigé, alors le texte est devenu le locuteur, et la langue est le procureur de la parole[12].

  1. Humanisation du texte:

Reprenons en détails le concept d’humanisation. Celui-ci réside dans  l’appel à lire le texte coranique sacré comme tout texte intellectuel; de l’aborder avec les mêmes perspectives, de lui arracher le caractère «mythique» sacré, qui a empêché, selon eux, de l’étudier suivant la méthodologie scientifique. Par conséquent, il sera lu et analysé comme tout autre texte sans nulle autre considération, justement comme Al-Khouli a appelé d’adopter une approche littéraire libre du Coran sans aucune autre considération.

L’humanisation a été en fait la priorité chez les modernistes vu qu’elle cristallise l’essence même de la contemporanéité et la relativité, et le moyen de dépasser l’absolu et de tout ce qui fait partie du patrimoine, d’un seul coup. Le critère est donc le moment présent, et le légitime est de ne pas s’affronter à la compréhension commune. Pour atteindre cet objectif et réussir à désacraliser le Saint Coran, et de l’égaliser aux textes produits ils utilisent, en désignant le Saint Coran des termes qui ne comprennent pas des attributs de caractère sacrée comme “Mushaf” ou “Livre” ou “texte”[13].

L’humanisation est liée au concept de la décentralisation, ses partisans substituent la Source Transcendante et Ultime par un non-centrique relative; où l’homme sera face à face avec le texte, négligeant délibérément que le texte ait été procuré par une Volonté Supérieure, dans un objectif bien déterminé et ayant des obligeances auprès de toute créature. Ainsi le texte s’adresse à l’homme, qui s’y aventure seul, guidé uniquement par la boussole de sa raison, de ses sens et de sa langue qui, elle, change constamment de sens, et acquit des connotations différentes que celles qu’avait le texte lors de sa livraison.

  1. Pluralisme.

Le concept de l’humanisation est lié au concept du pluralisme, dans la mesure que les deux concepts indiquent la possibilité de lire le texte coranique de différentes manières, et par conséquent la possibilité d’en avoir plusieurs exégèses ou interprétations, se référant à la technique de l’étude littéraire qui dépend du goût  individuel de chaque lecteur, donc si relative. Certains (des partisans de l’école d’interprétation moderniste) prétendent que l’islam lui-même a plusieurs versions en raison de la pluralité qu’on pourrait avoir de la lecture du texte[14].

 Le “multiple” et le “diversifié” sont apparus en tant que moyen de déconstruire la centralité du «texte original» et «le sens authentique». Ainsi le nombre d’interprétation du Texte peut égaler le nombre de lecteurs qui l’abordent, non pas selon l’Unicité de sa Source de révélation. De surcroit, en marginalisant les normes et les règles du discours arabe, quoique ces règles constituent la base de l’exégèse,  de nouveaux horizons d’auto-interprétation s’ouvrent, et le texte devient la propriété de chaque lecteur, où il voit le reflet de soi-même, sans s’intéresser à la finalité voulu par Sa Source de révélation.

Normalement, cette perspective exégétique soulève de nombreux problèmes méthodologiques, car le processus exégétique devrait suivre un groupe de restrictions et de normes et un ensemble de conditions constituées d’éléments thématique, culturel, historique et linguistique (cette méthodologie d’exégèse respectée dans les grands ouvrages exégétiques, et les œuvres de Usul Al-Fiqh). Cependant, l’école d’interprétation contemporaine néglige toute cette méthodologie sous prétexte de renouveau et de modernisation. Elle a également développé des projets modernistes de lecture et d’interprétation du texte coranique; les considérant comme la seule alternative méthodologique à même de remplacer toutes les réalisations cumulées par les efforts des érudits précédents dans l’exégèse coranique[15].

  1. Herméneutique:

Le concept de l’herméneutique suppose que le «mot» est formé par l’accumulation des couches de sens  comme les couches géologiques. Au fil du temps, s’ajoutent des significations autour du noyau du sens original, ces couches sont en proportion quantitative et qualitative avec l’âge du mot[16]. A travers ce concept, l’approche herméneutique est comme une étude géologique qui vise à découvrir les couches de compréhension accumulées cachant le sens original, et qui vise à déterminer l’origine et les racines chronologiques de chaque couche de compréhension et à découvrir comment elles se sont développées jusqu’à dissimuler le sens original. Elle découvre également son âge et la nature de l’époque où chaque signification est apparue. En conséquence, elle éclaircit la signification sémantique des mots à travers le temps et la façon dont le sens a été formé à chaque période sous l’effet de l’interaction entre l’autorité et la culture, ainsi que l’horizon réceptive du destinataire, ses préjugés, sa croyance, sa culture, son environnement et la nature des diverses contraintes qui dirigent le processus de la formation de la signification sémantique et formulent le type de compréhension[17].

Les formules positives louant le texte sacré, d’après ce courant, le décrivent, selon les termes herméneutiques, comme un être vivant, dont le sens est en perpétuel renouveau à chaque lecture, en alléguant que c’est la meilleure méthode pour harmoniser entre le texte et l’esprit de l’époque, tout en découvrant les finalités téléologiques du saint Coran, et éclairer nos esprits avec l’essence de la Révélation envoyée à l’homme à la lumière de notre horizon historique[18]. Or, ces formules comportent implicitement un sens très dangereux; en supposant que l’époque ou la lecture contemporaine est la variable indépendante, tandis que le sens du texte est la variable dépendante. Et que par suite, le sens pourrait subir des changements selon l’époque ou selon les lectures, même si le signe linguistique de ce sens est toujours constant.

Ici, l’interprétation herméneutique dépasse ses limites en supposant que la méthodologie de l’accumulation géologique est une approche générale qui peut être appliquée à la fois à l’évident et au «Muḥkam», ainsi qu’à l’ambigu et le «Mutashabih». Or, qui pourrait croire en la nécessité de l’interprétation de l’évident? L’interprétation herméneutique, dans ce cas, ne dépasse-t-elle pas les limites naturelles du sens et ne s’écarte-t-elle pas de la compréhension correcte? Est-il vraiment important d’interpréter les significations (évidentes) telles que Tawḥīd (Unicité d’Allah Tout-Puissant), īmān (foi) ou Ṣalah (Prière rituelle islamique)?[19]

L’interprétation herméneutique, selon le sens moderniste, semble être un moyen d’échapper à la signification apparente du texte, et une tentative de se débarrasser des restrictions que le texte impose à la raison et à la libre opinion, selon certains chercheurs. Cela semble aussi être un prétexte pour se libérer de l’autorité de la langue, en brandissant les arguments de l’évolution quant à l’utilisation et l’acception des mots. En fait, cela vise à séparer le texte des objectifs ciblés par sa Source Énonciatrice. Le danger le plus frappant, est que ce processus vide le contenu du texte de sa signification constante, qui serait alors susceptible de varier avec le temps, donc la vérité aurait de nombreuses faces, ou selon le point de vue de certains, «il n’y ait point de vérité…c’est seulement une affaire d’interprétations»[20].

  1. Historicisme:

L’historicisme consiste à atteindre le contexte historique du texte. C’est une tentative de faire le lien entre le texte et son contexte culturel, politique et social afin de découvrir les composantes objectives qui a contrôlé sa production et déterminé les liens entre le texte et les valeurs, d’un côté, et les institutions et les pratiques culturelles, d’un autre côté[21]. « Cela signifie que le texte n’est pas une structure culturelle ou symbolique isolée, mais il est lié à des arrière-plans contextuels. Par conséquent, le texte ou le discours doit être interprété pour refléter ce contexte et connaître à quel point le texte en a été influencé»[22].

Appliqué cette définition sur les Livres Sacrés implique implicitement à considérer le texte comme une partie de l’histoire, gagnant de là sa relativité, par suite il n’aura pas un sens fixe mais un sens à portées multiples, étant donné qu’une même lecture peut se référer à maintes vérités. Selon certains intellectuels tel est le sort des textes, étant donné qu’un texte est produit dans certaines circonstances historiques, alors chacun de ses sens sera en liaison étroite avec une entité historique bien déterminé dont il relève, et à quoi on s’y réfère[23]

Dans ce contexte, plusieurs écrits des disciples de l’école de l’interprétation contemporaine ont affirmés que le texte Sacré s’adresse à un public bien déterminé et par conséquent il emploie une langue bien déterminée, ce qui le rend en fin de compte une partie d’un contexte social, historique et linguistique, avec lequel il s’est adapté conformément à ses coutumes, ses pratiques et ses croyances. C’est la raison pour laquelle les occasions et les causes de la révélation occupent une telle importance  dans l’interprétation moderne du Saint Coran. En fait elles déterminent le contexte et les conditions qui ont entouré la révélation de tel ou tel verset, il s’en suivra que le fait d’ignorer les causes de la révélation est une entrave à la bonne acquisition du sens du texte Coranique![24] 

Outre la causalité historique entendue par l’Historicisme, on entend par ce terme selon les allégations de ses disciples que le Coran a essayé de se mettre en accord avec l’environnement où il a été produit, et ce en respectant ses conceptions, et en œuvrant à éviter de s’y heurter. Alors quand il a parlé d’Abraham et Ismâ’îl (d’après Taha Hussein, l’auteur du livre de la Poésie Préislamique), à titre d’exemple, c’est parce qu’ils étaient présents dans l’esprit des arabes préislamiques, et non pas parce qu’ils ont vécu et existaient en réalité. Selon eux, les formules des versets coraniques étaient en concordance avec les acceptions des arabes, et n’essayent pas de reformuler leur esprit communautaire. De même pour la sentence de la condamnation à mort (quisâs) comme punition pénale lors du meurtre, ainsi que la lapidation en cas de fornication, ou autres Hudûd ou punitions physiques qui convenaient à l’atmosphère désertique et pastorale où fut révélé le texte, et allaient en pair avec les coutumes![25]  

En vertu de cette idée, l’interprétation contemporaine du Coran doit prendre en considération les mœurs et coutumes de la société moderne, qui elle, par exemple, désapprouve  la sentence de quisas ou les sanctions physiques, et ne condamne pas les transactions en usure, et donne à la femme les mêmes droits que l’homme… etc. Par cette logique, puisque le Coran a amadoué les arabes en respectant leurs mœurs et coutumes, pourquoi ne pas suivre la même méthode avec ses récepteurs de tous les temps? Dans ce cadre vient la nécessité de lire le texte conformément au contexte actuel, et pour atteindre ce but il doit être compris selon la logique humaine et non pas selon la Sagesse divine. Voire ils ont prétendu que le Créateur a bien pris en considération ce caractéristique en formulant son texte sacré dans la langue arabe, langue de la révélation, susceptible de subir une évolution et un développement, et d’être compris par plusieurs manières, conformément aux conditions du temps et les mœurs de la société.

Et comme la révélation du Coran a pris fin, alors l’Historicisme pourrait être conçu comme la solution, puisqu’elle n’exige pas que les versets soient modifiés ou que les mots soient changés pour s’adapter au temps présent, il suffit de varier la lecture et l’interprétation du texte, pour assurer l’harmonie entre le texte et le réel, c’est là où résident le modernisme et le renouveau.

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Voici les grands traits du projet de renouveau d’al-Khouli, et des projets de lecture modernistes qui ont incarné son projet et lui ont cumulé leurs propres productions. Il est vrai qu’elles ont pavé le chemin à de nouveaux aspects d’exégèse, mais c’était aux dépens de l’essence même du Saint Coran qui est sans doute la bonne guidée, et ils l’ont fait sorti de sa nature quand ils ont appelé à l’humanisation du texte, et de l’aborder d’après une perspective historique relativiste, comme les textes littéraires.

En fait l’étude littéraire et les lectures modernistes suivantes ont mis comme condition d’éluder le caractère sacré du texte, en le posant comme exigence pour étudier le texte selon la méthode scientifique objective. Pourtant cette condition a en effet établi une barrière entre le chercheur et le texte en lui cachant sa véritable nature. En plus il n’a pas servi à l’étude objective parce qu’on a substitué le caractère sacré par une autre proposition à savoir le caractère littéraire du texte. Les préconiseurs, en s’y attachant, ont inculqué au texte des repères et des caractéristiques propres à un cadre conceptuel et méthodologique, tout à fait loin de l’esprit même du texte, et relevant d’espace cognitives différente en sa nature et en sa formation et Sa Source.

 Toutefois l’étude moderniste pourrait être littéraire, historique, humaniste, ou psychologique. Quant à la méthodologie, elle pourrait être évolutionniste, herméneutique ou linguistique, avec pour seul objectif  le fait de reproduire des sens du texte selon des acceptions débridées, ou selon une interprétation rebelle visant à dévier le sens exact du texte pour protester contre l’ancien, se révolter contre lui, et refuser ses références, ses outils, ses méthodologies, et ses acceptions. En fait, il refuse d’admettre qu’il y ait un «sens» bien voulu et bien déterminé auquel on doit se référer, au contraire ce sont des sens herméneutiques multiples d’après l’accès de chaque lecteur, et conformément aux contextes où s’opère la lecture. Cette conception est la seule et véritable forme de renouveau chez cette école!

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Traduit par:

Amira Mokhtar***

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* Étude sur la conclusion du livre intitulé : « أمين الخولي من أدبية التفسير إلى إشكالات التأويل

Par : Medhat Maher, Chérif `Abdurrahman, le Caire, Dar el Kitab al-Masry (2019), 206 P.

** Maitre de conférences à la faculté des sciences économiques et politiques, Université du Caire.

[1] حيدر حب الله، الوحي والظاهرة القرآنية (بيروت: مركز البحوث المعاصرة، 2012) ص 20.

[2] Ibid, pp.13-14.

[3] Ibid, p. 14.

[4] Link: (https://bit.ly/3Fsn714) for:

عبد الجبار الرفاعي، الشيخ أمين الخولي رائدا للدرس الهرمينوطيقي بالعربية.

[5] محمد علواش، مناهج تحليل الخطاب القرآني في الفكر العربي المعاصر، دراسة نقدية (دمشق: صفحات للدراسات والنشر، 2017).

[6] جوزيف مسعد، اشتهاء العرب، (القاهرة: دار الشروق، 2013)، ص ص 82، 83.

[7] أمين الخولي، التفسير: معالم حياته – منهجه اليوم (القاهرة: الهيئة المصرية العامة للكتاب، 2003)، ص ص35، 36.

[8] Bien que cette école de pensée ait prétendu être pionnière dans ce domaine, nous pouvons trouver des preuves authentifiées prouvant l’utilisation de cette approche objective dans les premiers écrits, en particulier les écrits dans le domaine du Fiqh (jurisprudence islamique) et certains écrits contemporains pour ceux qui n’appartiennent pas à l’école de pensée d’Al-Khouli, comme « La Morale du coran », une thèse de doctorat de Muhammad Abdullah Deraz (1894-1958) et bien d’autres.

[9] Certains soutiennent qu’il existe une relation entre Amin Al-Khouli et l’école d’Umanaa’ en général, et la tendance de la critique thématique qui étudie en profondeur le texte littéraire à atteindre son sens prévu, en se concentrant sur les thèmes qui semblent y être dispersés; les considérer comme des indicateurs des intérêts collectés par une origine. Pour plus d’informations, lisez:

سامر رشواني، منهج التفسير الموضوعي للقرآن الكريم: دراسة نقدية (حلب: دار الملتقى، 2009).

Quoting:

غسان بديع السيد، النقد الموضوعاتي: علامات في النقد، مجلد 6، جزء 24، (يونيو 1997)، ص 249.

[10] Pour un autre point de vue, lisez:

سامر رشواني، منهج التفسير الموضوعي للقرآن الكريم: دراسة نقدية، ص 115.

[11] Link (https://bit.ly/3h9UdcJ) pour:

وليد قصاب، من اختراقات الحداثة للنص القرآني.

Voir encore, par exemple:

محمد أركون، معارك من أجل الأنسنة في السياقات الإسلامية، ترجمة: هاشم صالح (بيروت: دار الساقي، 2001).

[12] وليد قصاب، من اختراقات الحداثة للنص القرآني

[13] Link (https://bit.ly/3h9UdcJ) for:

أحميدة النيفر، الإنسان والقرآن وجها لوجه، (بيروت: دار الفكر للطباعة والنشر، 2000)، وليد قصاب، من اختراقات الحداثة للنص القرآني.

Consultez:

محمد أركون، الفكر الأصولي واستحالة التأصيل، ترجمة هاشم صالح، ص .199.

[14] كيحل مصطفى، الأنسنة والتأويل في فكر محمد أركون (الرباط: دار الأمان، 2011).

[15] محمد علواش، مناهج تحليل الخطاب القرآني في الفكر العربي المعاصر، دراسة نقدية.

[16] Link ((https://bit.ly/3Fsn714)) for:

عبد الجبار الرفاعي، الشيخ أمين الخولي، رائدا للدرس الهرمنيوطيقي بالعربية.

[17] Ibid.

De meme:

مصطفى ناصف، مسئولية التأويل (القاهرة: دار السلام للطباعة والنشر، 2004).

[18] عبد الجبار الرفاعي، الشيخ أمين الخولي، رائدا للدرس الهرمينوطيقي بالعربية

[19] عبد الولي بن عبد الواحد الشلفي، القراءات المعاصرة والفقه الإسلامي: مقدمات في الخطاب والمنهج (بيروت: مركز نماء للبحوث والدراسات، 2013).

[20] عادل مصطفى، فهم الفهم: مدخل إلى الهيرمينوطيقا – نظرية التأويل من أفلاطون إلى جادامر (وندسور: هنداوي، 2017)، ص9.

[21] Link (https://bit.ly/3P1tDPL) for:

جميل حمداوي، التاريخانية الجديدة.

[22] Ibid.

[23] عادل مصطفي، فهم الفهم: مدخل إلى الهيرمينوطيقا، ص 13.

[24] روي جاكسون، نيتشه والإسلام، ترجمة حمود حمود، (بيروت: جداول، 2015)، ص 121.

English Source: Roy Jackson, Nietzsche and Islam.

En fait, ce livre ajoute une autre exigence afin d’atteindre la compréhension historique appropriée qui est de connaître la science de l’abrogé et de l’abrogeant.

[25] عبد الولي بن عبد الواحد الشلفي، القراءات المعاصرة والفقه الإسلامي: مقدمات في الخطاب والمنهج، ص ص. 105 – 109.

*** Chercheur et traducteur égyptien.

عن أميرة مختار

شاهد أيضاً

Amin Al-Khuli and The Fundamentals of Modernist Hermeneutics

By: Dr. Sherif Abdelrahman Seif Elnasr

Translated by: Rehab Jamal Bakri

Revised by: Prof. Neamat Mashhour

Amin Al-Khuli, a prominent Muslim scholar, is one of the pioneers who called for a literary approach to the Quran without depending on any other considerations, and definitely, any religious consideration.

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